... « Un vieux bachelier », dans le ''Journal de Caen'' du 29 juin, mentionne l'idée de dire ''des chevals'', et regrette qu'il soit un peu tard pour adopter ce pluriel. Il y a là une confusion que je tiens à dissiper, car elle compromettrait la réforme dont il s'agit aujourd'hui, la simplification de l'orthographe.
Dire ''des chevals'', ce ne serait pas modifier l'orthographe, ce serait modifier la langue même, c'est-à-dire les paroles que nous prononçons. Or la langue et l'orthographe sont deux choses parfaitement distinctes.
La langue française - et à cete égard, elle est comme toutes les langues - est le produit des siècles et d'une création inconsciente de l'esprit. Elle vient d'un passé lointain, elle porte les traces des mille et mille événements qu'elle a traversés, elle est un patrimoine de quiconque est né en Français, et, en même temps, elle est un trésor de faits, qui ont le plus haut intérêt pour l'érudit et pour le philosophe. Ce patrimoine et ce trésor, nous n'y touchons pas et nous ne voulons pas qu'on y touche.
Quant à l'orthographe, c'est autre chose. L'orthographe est un produit artificiel et arbitraire, qu'on a fabriqué et modifié vingt fois, par raison à certains jours, par caprice à d'autres. Elle ne contient rien d'instructif pour le philosophe, elle fait hausser les épaules à l'érudit. Elle n'a pas même l'avantage d'avoir duré, le prestige des siècles. Pendant la carrire littéraire de Victor Hugo, il y a eu trois orthographes officielles successives. Il y a quelques années encore, l'Académie a nettoyé l'orthographe de quelques ''h'' et de quelques traits d'union, tout tranquillement, comme on fait le ménage; c'est là ce qu'on lui demande de faire encore.
On a écrit, jadis, ''des chevaus'', ''des chevax'' (ce qui se prononçait de même), ''des chevaulx'', ''des chevaux'' : les sténographes écrivent encore ''dé chevo''. Tout cela est affaire d'orthographe et ne touche pas la langue. La pétition à l'Académie française demande des chevaus, qui est une vieille orthographe excellente, et non des chevals, qui serait un barbarisme.
(Journal de Caen, 6 juillet 1889)