En même temps que ce billet, je vous envoie le document que vous me demandez, la pétition pour la simplification de l'orthographe. Vous verrez, je crois, qu'elle n'est pas de nature à effaroucher ceux que vous appelez dans ''l'Evènement'' du 31 août, « les amoureux de la langue française ». L'auteur de la pétition a la prétention d'être un de ces amoureux; beaucoup des signataires aussi. Aimer la langue, ce n'est pas aimer l'orthographe, bien au contraire. La distinction entre la langue et l'orthographe est l'''a b c'' en ces matières. Sans approfondir ici la question, remarquons simplement que nous aimons tous la langue de Rabelais, la langue de Corneille, la langue de Volaire, et que pourtant pas un de nous ne pratique, et ne se soucie de pratiquer l'orthographe de Voltaire, de Corneille ou de Rabelais.
A ette occasion, permettez-moi de réclamer contre un détail de votre aticle, contenant un interview de M. Boissier. Je ne sais ce que mon maître et ami a pu vous dire, mais il n'est pas possible que ''l'Evénement'' ne contienne pas une inexactitude.
Les réformes que l'Académie accomplit, aurait dit M. Boissier, « ne font que sanctionner un état de choses existant depuis longtemps ». En matière de langue, il n'y a pas de doute là-dessus. Mais votre article ferait croire que cela est vrai aussi en matière d'orthographe; les paroles que vous attribuez ensuite à M. Boissier démontrent à elles seules le contraires : « Elle a simplifié déjà l'orthographe de bien des mots; elle a supprimé beaucoup d'''h'', comme dans ''rythme'', par exemple, qui prenait deux ''h'', il y a quelques années ». Ce n'était pas là sanctionner un fait préexistant, c'était créer un état absolument nouveau, car, avant le dernier ''Dictionnaire'' de l'Académie, personne ne songeait à écrire ''rythme'' avec un seul ''h''. En orthographe, à l'époque o๠nous sommes, l'initiative vient de l'Académie, tandis qu'ailleurs, quand il s'agit de la langue, de la langue proprement dite, de ce dont on peut être « amoureux », l'initiative vient des auteurs et de l'usage général.
« L'amour » n'est pas en jeu dans la question. Il y a des chinoiseries à écarter; il y a aussi des habitudes à ne pas heurter trop brusquement, mais qui, à la longue, doivent céder rationnellement à l'intérêt scolaire et à l'intérêt national. L'Académie aura satisfait à la pétition si, selon la formule que vous mettez dans la bouche de M. Boissier, elle « simplifie d'une façon raisonnée l'orthographe de certains mots ». C'est précisément ce que nous demandons.
Je vous serai très reconnaissant de vouloir bien reproduire ma lettre, o๠j'ai tâché de préciser de mon mieux ce qui embrouille parfois le public.
(''L'Evénement'', 7 septembre 1889)